Académie du Berry
Séance solennelle du 13 avril 2013 au château de Valençay (Indre)
Remise du prix annuel de l’Académie 2013,
à Laure Mandraud
Allocution de Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix
En 2013, nous récompensons le travail de Laure Mandraud qui a créé en 1997, « Prométhéâtre », une compagnie professionnelle au répertoire allant du théâtre classique aux œuvres contemporaines. Laure Mandraud met aussi à l’honneur le Berry et plus particulièrement George Sand qu’elle sait faire apprécier de tous, y compris du jeune public.
Lors de la remise du prix annuel de l’académie du Berry 2013 Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix, et Laure Mandraud lauréate 2013
Sa biographie
Laure Mandraud a des attaches berrichonnes profondes. Par sa famille tout d’abord, sa mère étant née à Aigurande et son grand-père paternel à Crevant. Son enfance fut marquée par des vacances très régulières en Berry près de Chassignolles où ses parents, marquant par là leur attachement à leurs racines, avaient acquis une maison un an après sa naissance. Avec un père très sensible à la notion d’héritage culturel, épris d’architecture, de littérature (il lui fit découvrir George Sand et le théâtre), Laure a grandi dans la découverte d’un terroir qu’elle a appris à apprécier. À treize ans, elle est reçue à la Société des Gâs du Berry en tant que vielleuse et danseuse ; cette expérience jouera un rôle déterminant dans sa vocation théâtrale. En effet, cette société montait chaque été, un spectacle théâtral mettant en scène un roman de George Sand dans la cour des communs du Domaine de Nohant. C’est ainsi qu’elle fit ses débuts au théâtre, dans le rôle de Brûlette, l’une des héroïnes des Maîtres Sonneurs. À Nohant également, elle rencontra Jean Darnel, directeur artistique des Fêtes Romantiques, qu’elle côtoyait dans le cadre de ses fonctions d’hôtesse d’accueil dans le bureau de Tourisme de Nohant, mais qui devait quelques années plus tard la promouvoir lauréate de l’IPJA (Insertion Professionnelle des Jeunes Artistes).
Laure Mandraud, sitôt son Baccalauréat littéraire obtenu, part faire des études de droit et d’anglais à l’Université François Rabelais de Tours tout en entrant au Conservatoire d’Art Dramatique où elle obtient son diplôme avec mention. Ensuite, tout en poursuivant ses études à Tours, elle continue sa formation théâtrale à Paris, au Centre Américain sous la direction de Paul Weaver et de Blanche Salant avant d’entrer comme élève puis comme assistante au théâtre de la Forge Royal, dirigé par Edgardo Lusi.
En 1984, elle revient à Tours et fonde le Petit Théâtre qui accueille enfants, adolescents et adultes pour s’initier et se perfectionner en théâtre. Parallèlement, elle commence sa carrière de comédienne tout en continuant à se former à la Scène Nationale d’Angers et rencontre en 1985 Michel-Jean Robin qui la met en scène dans un texte de Guy Suarès, « le souffle court ».
Ce dernier l’incite à choisir entre une carrière d’actrice et de metteur en scène. Laure Mandraud qui a rédigé une maîtrise d’anglais sur la dramaturgie du théâtre pré-élisabéthain et qui se passionne pour cette discipline, choisit la mise en scène. En 1990, avec la troupe du Charivari théâtre, elle inaugure avec la Nuit des Rois de Shakespeare, une longue série de mises en scène qui la conduisent dans des lieux prestigieux : le Château de Chambord, en 1996, où sa troupe interprète « La Comtesse d’Escarbagnas » de Molière pour les vingt ans de l’été culturel du Loir-et-Cher ou à l’Opéra Bastille, en 1994, pour une représentation exceptionnelle de « l’Assemblée des Femmes » d’Aristophane à l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire du droit de vote des femmes, en présence de Lucie Aubrac et d’Yvette Roudy.
Parallèlement à son travail de mise en scène, elle assure des ateliers autour du théâtre et de l’expression en tant que chargée de cours à l’Université de Tours à l’UFR d’Anglais et au CFMI (Centre de Formation des Musiciens Intervenants), où elle exerce encore actuellement. De 1994 à 2004, elle montera dix œuvres de Shakespeare en anglais avec les étudiants dans le cadre de la troupe universitaire « Les Artistanneurs ».
En 1997, Laure Mandraud fonde « Prométhéâtre » dont le siège social se situe 86 bis, rue Courteline à Tours. Elle en assure la direction artistique tout étant comédienne et metteur en scène. Dans ses premières créations, Laure choisit de donner sa chance à de jeunes scénographes et de jeunes artistes sortis du Conservatoire avec lesquels elle monte trois spectacles, dont une adaptation de la Cousine Bette de Balzac pour le théâtre. Elle aura ensuite le plaisir d’en donner une représentation au théâtre Maurice Sand de La Châtre. Soutenue dès l’origine dans son travail de création par le Conseil Général d’Indre-et-Loire, elle propose un travail de sensibilisation au théâtre et à la lecture pour les élèves des collèges. Cette action donnera lieu à une mission renouvelée tous les trois ans jusqu’à aujourd’hui. La compagnie reçoit régulièrement des commandes de la part du Conseil Général pour l’animation des Monuments départementaux à Saché et au Prieuré de St Cosme à La Riche, près de Tours. Personnellement je me rappelle de son spectacle sur Ronsard et Louise Labé dans ce lieu romantique où Ronsard a terminé sa vie et pour lequel elle avait revêtu un costume Renaissance de toute beauté.
Elle crée et interprète de nombreux spectacles tant pour les adultes que pour les enfants. Passionnée de littérature, elle compose des récitals et des ballades littéraires autour de thèmes, de poètes et d’auteurs aussi divers que Ronsard et Louise Labé, Balzac, George Sand, Victor Hugo, Colette… ou le philosophe Descartes. Elle met son art de comédienne au service des plus jeunes et de la littérature jeunesse en proposant des heures du conte et des créations pour les enfants de trois à douze ans, notamment en milieu rural. Son travail, en direction du jeune public l’a amenée à participer pendant trois années consécutives au prix littéraire ESCAPAGES organisé par l’Association départementale Aladin. Elle a ainsi composé trois spectacles pour les enfants des maternelles de l’Indre pour lesquels elle a sillonné le département jusque dans les plus petites communes de 2006 à 2009.
En 2010, elle donne avec succès en Avignon, sa création autour de Simone de Beauvoir avant de produire son dernier spectacle « Inspiré ? Soufflez ! » mettant en scène les fables contemporaines de son partenaire, Yannick Nédélec.
Revenons au lien de Laure Mandraud avec le Berry. George Sand a retenu son attention depuis longtemps. Ardente lectrice de cette romancière depuis son adolescence, c’est en 2004, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de George Sand, qu’elle conçoit un spectacle « D’aurore à George », joué entre autres à Montgivray (36). Elle a effectué son travail d’écriture à partir d’extraits d’Histoire de ma vie et de la correspondance, cherchant à comprendre comment Aurore Dupin est devenue George Sand.
En 2011, replongeant dans Histoire de ma vie, Laure Mandraud revient vers George Sand avec un nouveau spectacle « Une petite fille nommée Aurore » à destination plus particulière des enfants. Elle y dévoile une partie peu connue de la vie de l’écrivain : son enfance jusqu’à treize ans, sa relation privilégiée avec la nature, ses jeux, ses facéties en compagnie d’Hippolyte et les drames intimes qui l’ont marquée. Ce spectacle a eu lieu à plusieurs reprises à la Maison des Traditions de Chassignolles dans le cadre d’une exposition sur George Sand et les paysans.
En partenariat avec le Pays de La Châtre, elle a conçu plusieurs animations théâtralisées : en 2008 pour l’ouverture du sentier des Maîtres Sonneurs avec des extraits du roman éponyme, en 2010 pour le bicentenaire de la naissance de Chopin et en 2012, sur le thème du roman sandien Les beaux Messieurs de Bois Doré.
TF1 a souhaité sa participation en novembre 2009 pour la réalisation d’un reportage sur la survivance des superstitions en Berry et la société Duplex Production pour trois documentaires sur George Sand à Nohant, Balzac à Saché et Ronsard à la Possonnière, diffusés sur TV Com dans le cadre de l’émission « Sur la Piste des Ecrivains ».
Son portrait
Laure Mandraud est une femme aux cheveux longs, pouvant se présenter sur scène dans une sobre robe noire, dans un costume Renaissance ou dans des tenues drôles et farfelues avec la même aisance. Dynamique, créative, bouillonnante de vie, proche des enfants, elle s’investit à fond pour transmettre à tous le goût de la littérature. Elle a de belles intonations de voix, un art du geste et des mises en scène théâtrales. Elle captive son auditoire par sa voix claire et bien placée, sa présence, son élan de vie, sans lasser même dans ses monologues sur scène.
En conclusion
Elle a toujours des projets en attente, des idées de spectacles qu’elle sait si bien personnaliser. Nous voulons récompenser aujourd’hui, une femme de théâtre inventive, créatrice, dynamique. Son apport littéraire et théâtral auprès de tous, petits et grands, est admirable. C’est pourquoi nous sommes heureux de lui remettre le prix de l’Académie du Berry 2013, pour son engagement en littérature et particulièrement en Berry, avec toutes nos félicitations.
Remise du prix annuel de l’académie du Berry 2013, à Laure Mandraud.
De gauche à droite : Maurice Bazot, chancelier, Catherine Réault-Crosnier, présidente du prix, Alain Bilot, président de l'académie du Berry, et Laure Mandraud.
Catherine RÉAULT-CROSNIER
Réponse de Laure Mandraud
Madame, je vous remercie ainsi que le président de l’Académie du Berry, de votre bienveillance à mon égard et vous me voyez honorée et émue d’être avec vous aujourd’hui. Honorée, car le choix que vous avez fait de valoriser mon travail devant cette très estimable assemblée me semble un présent dont la valeur outrepasse largement celle de mon mérite. Et je le dis en toute sincérité.
Lors de la remise du prix annuel de l’académie du Berry 2013.
Laure Mandraud lauréate 2013, prononce son discours de remerciement.
Je suis émue, car je ressens intensément le bonheur d’être accueillie et de partager des idées, des passions et l’amour du Berry que rehausse à mes yeux la présence inaltérable de George Sand.
Grâce à vous je perçois au plus profond de moi-même la force et la chance de cet enracinement. Je dois beaucoup au Berry. Je lui dois des parents aimants et confiants qui ont favorisé mon éveil à toutes les formes d’art. Je dois au Berry mes premières émotions artistiques dans le domaine de la musique d’abord puisque, vielleuse aux Gâs du Berry, je me trouvais souvent à Nohant et y revenais pour les concerts classiques à la Grange. Quel émerveillement pour la petite violoniste que j’étais d’entendre Augustin Dumay et Jean-Philippe Collard dans la sonate de Franck !
Et puis il y avait le théâtre populaire des Gâs du Berry. Je leur dois mes premiers pas sur les planches dans le rôle de Brûlette, l’héroïne des Maîtres Sonneurs et le souvenir inoubliable des soirées de plein air à danser et jouer sous les fenêtres de la Bonne Dame. C’est là qu’est née ma passion pour le théâtre et pour George Sand.
Cette immersion sandienne, je la vivais sans beaucoup de conscience. Je lisais du George Sand comme on fait du vélo, sans y penser mais en aimant. Et puis j’ai découvert l’album Sand de la Pléiade que j’ai lu avidement, découvrant une vie de femme et d’écrivaine hors du commun. Cette lecture m’a révélé une chose essentielle. J’ai compris que rien n’était joué dès le départ et que George Sand avait livré un combat de chaque instant pour se construire, pour exister, pour être libre. Je n’avais qu’à en faire autant !
La passion du théâtre chevillée au corps, une maîtrise de la langue de Shakespeare en poche, je décidai de me lancer malgré l’extrême anxiété de mes parents qui me voyaient plutôt faire un Diplôme d’Études Approfondies. La suite, vous la connaissez… Comme l’écrit George Sand dans Consuelo « les routes de l’art sont encombrées d’épines, mais on parvient à y cueillir de belles fleurs ».
Mais un jardin que l’on fait pour soi-seul n’en est pas un. Au cœur de ma passion pour le théâtre, il y a toujours eu le désir du partage, encore un héritage sandien, et c’est par l’enseignement de l’Art Dramatique qui s’ouvre comme espace d’exploration et de liberté que j’ai trouvé le moyen de rester en lien avec les jeunes générations. Il y a, vous l’avez signalé, ce missionnement dans les collèges pour travailler avec des jeunes sur le théâtre et la lecture mais je ne saurais oublier en Berry, les magnifiques projets auxquels Danielle Bahiaoui, amie de longue date, m’a associée pour le rassemblement des lycées George Sand de France et la célébration du bicentenaire de la naissance de George Sand en 2004. Ces moments de théâtre intenses sont inoubliables. Ils marquent à jamais, les jeunes lycéens qui y ont participé.
Aussi me paraît-il essentiel de continuer à faire entendre notre langue française à travers ses auteurs, à les rendre accessibles au plus grand nombre, à trouver le moyen de susciter la curiosité, le désir de culture. Ces valeurs resteront à jamais au cœur de mes préoccupations.
Et puis, et je terminerai par cela, vous avez souligné mon goût pour le répertoire classique. J’y ajouterai celui de l’histoire. Lire George Sand, c’est aussi entrer dans l’histoire sociale et politique du 19ème siècle et inévitablement s’interroger sur la place des femmes. Elles occupent une place centrale dans mes créations. Je me suis intéressée aux conditions matérielles et morales qui ont formé la personnalité et le génie de George Sand. J’ai exploré la nature singulière de « l’être au monde » de Simone de Beauvoir. Je vais prochainement me pencher sur la vie des femmes pendant la guerre de 14-18 et ce faisant continuer de méditer sur cette petite phrase du peintre Garouste : « Ce qui m’intéresse dans l’avenir, c’est la construction du passé. »
En hommage au Berry, j’ai choisi de vous lire à deux voix un extrait des Maîtres Sonneurs de George Sand qui met en scène Joset le cornemuseux, archétype de l’artiste « qui paraît toujours regarder des choses que les autres ne voient pas » et Brulette évoquant la vision qu’a fait naître en elle la musique endiablée du jeune cornemuseux.
Lors de la remise du prix annuel de l’académie du Berry 2013.
Yannick Nédélec et Laure Mandraud interprétent un extrait des Maîtres Sonneurs de George Sand.