Le comptage quotidien des victimes de la pandémie aurait tendance à faire passer du sentiment d’angoisse à une résignation teintée d’indifférence affective. Mais qu’un proche vienne à grossir cette liste funeste, c’est brusquement, à des degrés divers, la stupeur, la tristesse et l’incompréhension. Ainsi avons-nous appris la mort de Laurent Personne, le 24 mars 2021. S’il s’était éloigné ces dernières années des activités de notre académie, cela n’avait en rien altéré la profonde amitié qui le liait à quelques-uns d’entre nous. D’où la difficulté d’accepter l’idée de la mort de cet ami, dans notre souvenir si rayonnant de vie et de dynamisme, encore loin du quatrième âge.
Il avait exercé plusieurs métiers à forte responsabilité, dans une société américaine en Allemagne, en Suisse et dans une d’une entreprise franco-libanaise à Paris. Dans les dernières années de sa vie, il fut Consultant international, impliqué dans la gouvernance des entreprises, chargé de diriger, gérer et engager, principalement pour les pays francophones.
Mais une heureuse « parenthèse » de 20 années constitua l’essentiel de sa vie professionnelle et de ses investissements. En 1986, Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie française, l’avait recruté en tant que directeur de Cabinet. Bénéficiant de sa totale confiance, il allait déployer ses talents de gestionnaire, d’organisateur et d’innovateur. L’auteur des Rois Maudits ne manquait jamais de le remercier et de publiquement lui rendre hommage. Ainsi par exemple, lors de l’inauguration de l’exposition sur l’Académie française à Dakar, le 23 mai 1989 : « mon chef de cabinet – avait-il déclaré - a tout imaginé, choisi, disposé, installé ». Président l’union paneuropéenne de France, il lui en avait également confié le secrétait général de 1983 à 1987.
Laurent Personne se sentait chez lui dans cette insigne assemblée où selon lui, « en toute courtoisie personne ne se prend au sérieux, personne n'essaie de se faire valoir (…), l’élection à vie permettant d’éviter les luttes de pouvoir et l’émergence de clans ; c’est ce qui fait que la maison a pu traverser les siècles en toute sérénité »,
Sans doute au-delà des missions que lui conférait ses fonctions, il s’était engagé à plein corps dans la défense de la langue française. Si le dictionnaire s’était ouvert à des vocables provenant d’autres langues, notamment l’anglais, il restait convaincu que « l’ouverture à d’autres cultures n’appauvrissait pas la langue, au contraire » (interview daté du 2 novembre 2006).
Délégué à la Francophonie, il allait contribuer au pouvoir d’influence de l’académie dans la recherche de solutions aux difficultés financières rencontrées par l’une des universités francophones. Il joua un rôle fondamental dans la création de l’Université francophone Léopold Senghor à Alexandrie, assumant les fonctions de secrétaire du conseil d’administration.
Il avait développé beaucoup de relations à l’étranger dont en Afrique avec en particulier le président du
Sénégal Abdoulaye Wade.
Répondant à de nombreux interviews concernant l’académie, appelé à participer à des jurys, à des comités internationaux, il avait contribué à la célébration du 450ème anniversaire de l'Ordonnance de Villers-
Cotterêts sur l'usage du français sur tout le territoire national, et au-delà, dans le monde entier, dans la promotion de la francophonie.
Il maitrisait parfaitement ce concept dont il était devenu un historien et un chantre, donnant à la demande de nombreuses conférences sur ce thème, dont à notre académie, lors de la séance solennelle du 23 avril 2005, date de son intronisation.
Malgré ce remarquable investissement, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française, réorganisait son administration en 2008 et le licenciait pour le remplacer par un normalien.
Ce coup du sort - vécu comme une profonde injustice - allait altérer durablement son élan vital, également compromis par la maladie et les séquelles d’un accident domestique venues sans doute diminuer ses capacités de résistance au virus.
Sa dernière sortie officielle eut lieu en octobre 2008, en la mairie du XXème, proche de son domicile.
Il avait accepté une nouvelle fois d’évoquer son sujet de prédilection devant un parterre de membre de la Légion d’honneur. Il fut brillant.
Au-delà de ses qualités professionnelles, déjà évoquées, Laurent Personne laissera le souvenir d’un honnête homme : après son renvoi, il aurait été contacté par plusieurs éditeurs, avides de voir révélés les dessous
de l’académie. Mais il s’est tu et n’a pas donné suite.
Un homme d’engagement, même au plan politique. Se confiant à Julien Green, il avait déclaré, connaissant bien l’Afrique, les plaies qui l’affectent, maladie, pauvreté : « on a maudit la colonisation qu’on appelait un scandale et s’en était un, pourtant le monde colonial connaissait un semblant d’ordre ».
Il était tout particulièrement généreux et chaleureux. Plutôt que de tendre la main à ses amis, il préférait
leur donner l’accolade.
Ceux qui l’ont connu et les invités aux séances solennelles de l’Académie française n’oublieront jamais sa disponibilité et la chaleur de son accueil